Le calibre R27

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crédit : Hartmut Wynen

LIP n’a jamais fabriqué de calibre automatique. Certes, des modèles automatiques ont été proposés à la clientèle, cependant il s’agit toujours de calibres extérieurs (ETA, Felsa, Durowé ou encore PUW). Un prototype a été développé à partir du R23 mais n’a jamais été produit. L’automatisme apporte un intérêt certain : la contrainte du remontage est supprimée et la tension du ressort est plus constante donc on obtient une meilleure précision. Alors que fait LIP durant les années 40/50 pendant que tous les fabricants développent des calibres automatiques, et bien chez LIP on est beaucoup plus ambitieux et on développe un calibre révolutionnaire, un calibre électromécanique. 

Les recherches dans le domaine de l’électricité appliquée à l'horlogerie débutent assez tôt chez LIP. Le premier calibre électrique commercialisé en 1935 est un calibre de pendulette dont la partie mécanique classique présente la particularité de posséder un remontage électrique du ressort de barillet par l’intermédiaire d’un moteur alimenté par le secteur. Ce système présente l’avantage d’un couple constant du ressort, ce dernier présentant toujours la même tension. On obtient ainsi une très bonne précision.

Calibre à remontage électrique LIP Ericsson

Après la seconde guerre mondiale, les recherches reprennent autour du développement d’un calibre de montre bracelet. Il faut résoudre 2 problèmes. Tout d’abord la source d’énergie. Les piles de l’époque sont beaucoup trop grosses et il faut les miniaturiser tout en assurant un fonctionnement pendant au moins 1an. Ensuite, la solution précédente ne peut être retenue. Un moteur électrique miniaturisé ne pourrait jamais assurer une tension de ressort suffisante d’autant plus avec comme source d’énergie, des piles délivrant un faible voltage. Il faut donc développer un calibre totalement nouveau dont le fonctionnement diffère complètement des calibres mécaniques classiques.

La solution retenue reprend le balancier spiral classique mais dont l’oscillation est entretenue électromagnétiquement.

Le principe de fonctionnement est assez simple.

Il faut distinguer 2 parties : 

- une partie électrique constituée par 2 bobines, une diode, un circuit électrique et 2 piles

Schéma de fonctionnement du circuit électrique du R27

crédit : MP Coustans (LIP des heures à conter)

 

- une partie mécanique constituée par un échappement et un train de rouage. Le balancier sert d’intermédiaire entre ces 2 parties.

 Principe de fonctionnement d’une montre mécanique :

 

Principe de fonctionnement d’une montre électromécanique :

Les oscillations du balancier déplace un fil de contact en or ce qui permet de fermer ou d’ouvrir le circuit électrique.

Lorsque le circuit se ferme, les bobines et leurs noyaux (stator) jouent le rôle d’électroaimant qui repousse la balancier (rotor), entretenant son oscillation. Le circuit se coupe quasi instantanément lorsque le doigt de contact n’appuie plus sur le fil de contact. Le spiral assure alors l’oscillation inverse du balancier et le démarrage d’un nouveau cycle d’oscillation.

 

Le balancier dont l’oscillation est entretenue par la partie électrique actionne un échappement et un train de rouage assurant le déplacement des aiguilles et donc l’affichage de l’heure.

 

Le 19 mars 1952 est présentée par LIP à Paris et Elgin à Chicago, la première montre-bracelet  électrique du monde.

Prototype de 1952

crédit : MP Coustans (LIP des heures à conter)

 

Cependant ce modèle n’est pas encore commercialisable. Des problèmes concernant essentiellement la conception de la pile et des bobines persistent. Après 10 années de recherches et de travaux menés dans le plus grand secret, sous la direction de Jean-Georges Laviolette et Paul Dargier de Saint Vaulry remplacé en 1955 par Jean Pommier, est dévoilé en 1958, la première montre électrique de conception européenne équipée du calibre R27.

Le calibre R27 (crédit : Théorie d'horlogerie)

crédit Ebay

Caractéristiques du calibre R27 :

Fréquence : 18000 alt/h

Nombre de rubis ?

Antichoc : Incabloc

Spiral Breguet

Diamètre : 12 lignes soit 27 mm

Mise à l’heure avec stop-seconde au dos de la montre à l’aide d’une sorte de clé repliable fixée au fond du boîtier

Autonomie des piles : garantie 1 an, 500 jours sur les publicités

Période de production : 1958-1963, année d’introduction de son successeur, le R148. Les derniers calibres non utilisés dans des montres ont été montés dans de petites pendulettes.

Le fond avec les 2 trappes pour les piles et la clé de mise à l'heure

crédit Lekabe

Publicité de 1959

 

Le choix de la forme du calibre peut sembler surprenant, notamment pour la place laissée aux 2 piles. En fait ce calibre était prévu pour des boîtiers ronds et les piles utilisées devaient être les piles haricots conçues par LIP en collaboration avec Leclanché.

Prototype de 1954 utilisant le piles haricots LIP-Leclanché

crédit : MP Coustans (LIP des heures à conter)

 

Malheureusement ces piles n’ont jamais été fiables et elles ont été abandonnées au profit des piles rondes Union Carbide (Ucar 201).

Prototype permettant de tester l'adaptation des piles Ucar

crédit : MP Coustans (LIP des heures à conter)

 

Le calibre devant être entièrement redessiné, il a été conservé tel quel ce qui a imposé une forme allongée du boîtier et le rajout d’un adaptateur en plastique noir pour les nouvelles piles.

crédit : Revue de l'AFAHA n° 41

Une autre solution pour conserver un boîtier rond est de loger les piles dans le bracelet mais cette solution ne sera pas retenue.

crédit : MP Coustans (LIP des heures à conter)

Ces montres sont qualifiées de « ELECTRONIC », terme un peu exagéré puisque seule la diode, qui a un rôle très secondaire est un composant électronique. On devrait plutôt parler de montre électrique ou électromécanique. Les premières vraies montres électroniques apparaîtront dans les années 60 avec les calibres transistorisés puis les calibres à quartz.

 

Quels sont les avantages de ce type de calibre par rapport à un calibre automatique :

-         la montre a un fonctionnement totalement autonome, portée ou non, pendant près de 2 ans.

-         l’énergie délivrée par la pile étant très constante dans le temps, la fréquence d’oscillation du balancier est très stable ce qui confère à la montre une excellente précision. La tension du ressort d’un calibre mécanique ne pouvant pas être constant, même sur une automatique, on ne peut pas obtenir la même stabilité.

-         L’énergie transmise au train de rouage par l’échappement est très faible ce qui limite les problèmes de lubrification puisqu’il y a peu de frictions. Seuls les pivots du balancier nécessitent une lubrification régulière ce qui simplifie énormément l’entretien de ces calibres.

 

Un des illustres propriétaires d’une LIP Electronic sera le général De Gaulle qui la recevra en cadeau par Fred LIP en 1958. En réalité, il en recevra 2, portées alternativement une semaine sur 2, ce qui permettait au général d’avoir une montre toujours parfaitement à l’heure, le modèle non porté étant remis à l'heure et éventuellement réajusté.

Le modèle de la collection actuelle LIP appelée « Montre du général » n’est donc pas la vraie, puisque cette montre est la reproduction d’un modèle des années 70, sorti après la mort de Charles De Gaulle !

Le même modèle sera offert peu de temps après au général Dwight Eisenhower. LIP Electronic, l’autre montre des présidents !

 

Pour la petite histoire, il faut savoir que les recherches menées par LIP autour de la montre électromécanique étaient maintenues secrètes. Un garde armé surveillait même l’entrée des laboratoires. Mais le maintien de ce secret nécessitait aussi une totale autonomie de fonctionnement des équipes, tant sur la construction des prototypes que sur la conception de l'outillage nécessaire. Ceci  peut expliquer la longue durée de mise au point de ce calibre.

 

LIP et ses concurrents :

Les recherches autour du calibre électromécanique se sont faites en collaboration avec l’américain Elgin qui présentera lui aussi son calibre « electronic »

Mais l’association LIP/Elgin ne sera pas la première à proposer au public une montre équipée d’un calibre électrique. C’est Hamilton en 1957 qui sera la première firme à le proposer. Il s’agit du calibre 500 qui équipera notamment la très célèbre Ventura immortalisée par le film Men In Black.

crédit Bogoff.com

L’horloger allemand Epperlein produira sous licence ce calibre et le commercialisera en Europe.

En 1960, des LIP R27 seront commercialisés en Allemagne par Porta-LIP. On les retrouvent sous les marques Lanco ou Benrus.

crédit : Jens Kirchhoff crédit : Jan Opgenoorth

 

Le R27 semble aujourd’hui être un calibre totalement obsolète, cependant il faut le replacer à l’époque de sa sortie. Ce calibre reflète ce qui se faisait de mieux technologiquement parlant en horlogerie de poignet. Les prix proposés en faisaient une montre de luxe :

Modèles en or 1600 puis 1880 fr soit 2300 euros aujourd’hui

Modèles en acier : 600 puis 650 fr soit 800 euros aujourd’hui

On peut imaginer son porteur, riche PDG français, descendre de sa Citroën DS 19 noire, LIP electronic au poignet, pour embarquer sur le France ou dans une Caravelle en direction de l’Amérique.  Une sorte de vitrine technologique faisant la fierté de notre pays.

Certes ce calibre n’est pas beau, il n’a pas de belles décorations ni une qualité de fabrication exceptionnelle. Cependant, c’est une pièce importante du patrimoine horloger français et même mondial qu’il faut conserver et apprécier.

S’il fallait lui trouver un équivalent aujourd’hui, je pense que le calibre SpringDrive de Seiko serait un bon candidat.

 

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